Eglise catholique de Haute-Marne
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      [Vidéo] Pourquoi disons-nous de Dieu qu’il est Père ?

[Vidéo] Pourquoi disons-nous de Dieu qu’il est Père ?

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Le samedi 8 octobre 2022 a eu lieu la journée de rentrée des agents pastoraux à Chaumont. À cette occasion, le Père Martin Doherty a donné une conférence en lien avec le thème de notre année pastorale : tous enfants d’un même Père.


Pourquoi disons-nous de Dieu qu’il est Père ?
Quelles en sont les conséquences pour nous-mêmes ?

Conférence de l’abbé Martin Doherty
Chaumont, le 8 octobre 2022

Introduction
Dans l’Église, les prêtres et les évêques sont souvent appelés du titre de "père" par les fidèles catholiques ou les non catholiques. Ce titre n’est pas si anodin, car dans le langage, le père est celui qui engendre un ou des enfants, celui qui donne une éducation à travers l’exercice d’une autorité qui fait grandir. La vision du père, dans l’idéal, revêt un caractère positif. Il dévoile cette image du Père Éternel plein de miséricorde « qui nous accueille en tout » comme disait François dans une homélie à Sainte Marthe (10/12/2015).

Le langage porte ainsi du sens. Et pourtant, la crise des abus sexuels commis sur les mineurs par des prêtres ou des religieux, comme nous le rappelle le rapport Sauvé, dépeint un exercice dévoyé d’une fausse paternité qui détruit irrémédiablement bon nombre de jeunes, comme j’ai pu l’entendre personnellement d’une victime d’abus dans notre diocèse. Cette fausse paternité a pu aller jusqu’à abîmer l’image du Dieu père et l’image de l’homme père. Cependant, est-ce que cette crise que traverse l’Église ne pourrait-elle pas être une occasion de réfléchir à frais nouveaux de la paternité ? De revenir aux sources de la Révélation en Jésus Christ ? De comprendre pourquoi nous disons de Dieu qu’il est père ? De prendre en considération toutes les conséquences pour nos vies ? Et finalement, de chercher à voir de quelle manière nous pouvons exercer une paternité ?

Je vous propose ainsi de réfléchir ensemble sur Dieu le Père, et de voir ensuite les conséquences pratiques que nous pourrions en tirer.

1. La Révélation nous enseigne que Dieu est Père

Pour nous catholiques, le cadre de notre réflexion est avant tout celui de la Révélation de l’existence et de l’action de Dieu dans notre monde.

C’est par les Saintes Écritures, c’est-à-dire par la Bible, que peut voir jour notre compréhension de ce qu’est Dieu ou qui est Dieu. Ainsi, c’est par la transmission du Peuple d’Israël que nous recevons ce que nous appelons l’Ancien Testament. Déjà dans la Théologie d’Israël, la paternité divine s’exerce par l’acte créateur. Dieu crée le ciel et la terre comme le dit la Genèse. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » Dire de Dieu qu’il est Créateur – Le Créateur - est un marqueur fort car il pose un cadre dans lequel évolue l’homme. Un deuxième marqueur fort en Dieu est son caractère singulier - et même dire avec audace – célibataire. Dans l’Ancien Testament, Dieu crée seul. Il n’y a pas de divinité féminine comme dans d’autres récits cosmogoniques de l’Antiquité. Ainsi, dans le récit explicatif de création du monde chez les Grecs de la théogonie d’Hésiode, les dieux s’engendrent entre eux et le monde est le fruit d’un travail reproductif entre le ciel et la terre, entre les forces du
destin.

Aussi, en l’absence du cadre de la Révélation d’Israël, nous aurions du mal à penser Dieu en terme de père. Car ce vocabulaire sera utilisé régulièrement par les écrivains de la Bible. Le Nouveau Testament explicite tout cela et même, la notion de la paternité divine est au cœur de la révélation de Jésus dans des termes nouveaux. L’enseignement nouveau apporté par Jésus à ses disciples est avant toute chose la révélation de la Paternité Divine, d’une Relation précieuse, personnelle, entre Dieu et l’Humanité, s’accomplissant par la médiation du Christ Sauveur.

Dans l’Ancien Testament, Dieu était déjà considéré comme Père. Le peuple d’Israël avait été libéré de l’esclavage
d’Égypte par un Dieu Providence, c’est-à-dire que Dieu veillait aux besoins de son peuple en le nourrissant de la manne et des cailles ans le désert. Il le guérissait également des blessures et morsures infligées par les serpents venimeux. C’est l’épisode du Serpent de bronze en Nombres 21 : le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent de bronze, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! »

Cependant, et c’est aussi la nouveauté de l’enseignement de l’Évangile, Jésus relie la notion d’engendrement au concept de père déjà connu par le monde juif. C’est le sens de la prière sacerdotale expliquée en Jean 17.

01 Ainsi parla Jésus. Puis il leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie.
02 Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
03 Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
04 Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire.
05 Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
06 J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole.
07 Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
08 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
09 Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi.

Cette prière de Jésus, dite avant de donner sa vie pour ses proches, donne une clef d’herméneutique, et nous explique les raisons de sa mise à mort, après la condamnation portée par les grands prêtres qui nous est relatée dans les Évangiles de la Passion que nous pouvons entendre lors de la Semaine Sainte : Jésus est accusé de blasphémer le nom de Dieu, de souiller la sainteté du nom du Dieu, en apprenant à ses disciples à appeler Dieu « notre Père. » Nous pouvons dire avec l’Église, « Jésus est engendré, non pas créé. » (Credo de Nicée Constantinople)

1.1. Dans un cadre trinitaire
Dans les premiers siècles, les chrétiens vont être amenés à approfondir, à préciser à leurs contemporains non chrétiens pourquoi et comment Dieu est Père, qu’Il est notre Père. Pour cela, les théologiens vont faire des détours en utilisant le concept de Trinité. Ce mot fait originellement référence au langage philosophique et vient du terme « trias » appliqué déjà à l’homme. Trias est ainsi un terme grec utilisé par le courant gnostique – petite parenthèse, les gnostiques divisent le monde entre les hommes qui sont initiés à la connaissance et les non-initiés et développent des théories qu’ils réservent aux adeptes, l’évangélisation pose au contraire que notre foi n’est pas réservée à une élite mais ouverte à tous) – bref trias veut dire tout simplement « trois. »

Selon cette anthropologie grecque, l’homme est composé de trois éléments : la matière, le psychisme et le pneuma, c’est-à-dire le corps, l’intelligence et l’esprit. Trouvant ce terme pratique, les chrétiens vont s’en inspirer, l’appliquer à Dieu et rajouter l’adjectif saint à trias, ce qui donne Sainte Trinité. (voir notamment Théophile d’Antioche, Trois livres à Autolycus, Sources chrétiennes 20). Cette expression permet ainsi de synthétiser ce que les chrétiens disent de Dieu. Car jusqu’alors même si dans le Nouveau Testament on trouve les mots de Père, Fils et Esprit, comme par exemple chez saint Paul, en 2 Corinthiens 13, 13 avec son ton solennel « Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous », il n’y avait pourtant pas encore de terme englobant.

Cela révolutionne alors l’idée qu’on se fait de Dieu. Il n’est plus un être suprême, un grand architecte, une monade unique comme l’affirmaient les philosophes néo platoniciens, mais un ensemble. Cela implique également l’idée d’altérité, ce qui est essentiel pour notre propre humanité. Il y a, chers frères et sœurs, dans le concept de trinité, l’idée de l’un et de l’autre, d’un toujours différent, d’un dialogue. Si les chrétiens mettent l’Esprit dans la Trinité, c’est parce que la relation entre le Père et le Fils est une relation féconde qui engendre l’Esprit.

Ce seront alors les débuts de la théologie trinitaire. La notion d’amour, présente dans le Nouveau Testament, va également contribuer à enrichir le débat théologique sur Dieu. Je vous invite à relire la première épître de Jean, un apôtre de Jésus, qui affirme que Dieu est amour. Pour les auteurs chrétiens, l’amour permet d’affiner la compréhension de Dieu en affirmant que toutes les relations dans la Trinité sont marquées par l’amour, c’est-à-dire par une communication parfaite, dans la liberté des personnes où tout se vit et tout se partage à égalité. Aussi, pour penser Dieu comme père, on le pense désormais en relation d’égalité, de partage entre chacune des personnes, du Père au Fils en passant par l’Esprit. Cet approfondissement théologique permettra de répondre en toute clarté aux controverses, comme l’Arianisme du IVe siècle, lorsque des chrétiens affirmèrent que Jésus n’avait pas la même place dans la Trinité que son Père, car étant engendré, il devait lui être inférieur et n’être qu’une simple créature.

Devant la contemplation de la crucifixion, il est également possible de voir se déployer l’amour. La volonté du Père est de donner le salut aux hommes par son Fils Jésus qui accepte librement ce que son père veut. L’Esprit fait le lien entre les personnes et avec le mystère de l’Église. La crucifixion nous entraîne aussi à accepter qu’il y aura toujours une part de mystère en Dieu.

1.2. Pourtant Dieu reste un mystère

Dans la Bible, il n’y a pas donc pas un concept exprimé de Trinité. Il faut bien garder cela à l’esprit. On y trouve Dieu comme père, la mention du Fils et le Saint Esprit, mais pas ce concept. Mais rétrospectivement, pour comprendre ce que sont les personnes divines, les auteurs vont réinterpréter certains passages de l’Écriture en y voyant la Trinité. Pour en donner un exemple : Gn 1, 1 « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » En hébreu, le sujet est au pluriel ‘elohim’ et le verbe est au singulier ‘bara’. Puis lors de l’épisode du chêne de Mambré, en Gn 18, Abraham reçoit trois hommes mystérieux, et ces trois hommes vont parler au singulier. Ce sont des traces trinitaires.

Si le concept de trinité est utilisé communément, il faut garder à l’esprit que ce concept de Dieu est limité et correspond à ce que l’écrivain relisant l’expérience du peuple puis notant l’expérience de la révélation du Christ, traduit dans son langage. Parler de Dieu comme Trinité restera toujours un mystère, tout comme le sont les concepts de père, de fils et d’esprit saint. Pourtant ce langage avec ses imprécisions apophatiques (on dit ce que Dieu n’est pas) reste essentiel pour notre compréhension de Dieu. Car en parlant de Dieu aux hommes il s’agit de se mettre à leur portée. C’est une pédagogie qui nous est proposée et un chemin que nous pouvons emprunter à notre tour.

Le langage trinitaire sera développé par les théologiens (comme Augustin) avec le renfort d’images, comme le soleil qui est ainsi utilisé pour parler de Dieu, avec le Père comme soleil, le fils comme le rayon de lumière et l’esprit comme l’éclat du soleil. Cette image est limitée, car des auteurs chrétiens diront que le Fils n’est pas égal au Père, pourtant on ne peut pas séparer le soleil de son rayonnement. L’image de la fleur est aussi utilisée, le Père est la fleur, le Fils le parfum dans la fleur et l’Esprit ce qui amène le parfum aux narines de l’homme. De même que l’image du triangle isocèle est utilisée pour parler de l’égalité des personnes divines. L’image du Père barbu est aussi une façon de parler de Dieu à travers les qualités de sagesse qui sont attribuées aux pères.

1.3. Faire l’expérience de Dieu Père

Parler de Dieu comme père renvoie ainsi au mystère de Dieu que nous pouvons expérimenter personnellement dans notre prière. En devenant disciple du Christ, saint Paul a lui-même vécu cette expérience personnelle avec Dieu comme père. Dieu est devenu profondément familier de sa vie et cela permit à Paul d’exprimer que Dieu était son père - son papa en Galates 4, 6. « L’esprit du Fils crie en vous abba père. » Le mot « abba » a lui-même été utilisé par le Seigneur Jésus. C’est de l’araméen, une langue voisine de l’hébreu, et ce mot a été conservé dans les évangiles pour signifier l’importance de cette expérience de la paternité de Dieu. On la retrouve chez saint Paul.

Parler de Dieu comme Père et en faire l’expérience dans la prière personnelle et communautaire de l’Église n’est peut-être pas le plus facile, car cette expérience est englobante, participation mystérieuse de la Sainte Trinité. Prier, c’est être conduit par le Fils - dans l’Esprit - à nous tourner vers Dieu notre Père qui nous a créé et nous a donné les lois de notre existence. Dans la prière, c’est être immergé dans le mystère de la Sainte Trinité et cependant, notre compréhension reste limitée, car Dieu nous dépassera toujours, car son esprit remplit l’univers (Sagesse 1, 7).

2. L’homme est appelé à devenir père
À son tour, lorsque l’homme réfléchit sur ce qu’il est lui-même, alors qu’il est face à lui-même – il ne peut que s’exclamer d’être lui-même un mystère. « Qu’est-ce que l’homme pour que tu en prennes soin ? » s’interroge un homme dans la Bible. L’homme est fragile, il naît du corps d’une femme qui devient sa mère et il sait peu de choses sur lui, sinon qu’un jour il mourra. Il fait l’expérience de son humanité dans un monde qu’il reçoit et où rien n’est acquis en terme de position.

2.1. Avec ses frères et sœurs, en société
En grandissant, l’homme découvre sa faculté à engendrer à son tour, à pouvoir engendrer à son tour une famille. Cette expérience de la paternité se vit en relation avec une altérité, qu’on appelle fils. Dans l’Église, ou comme dans la société, la paternité s’exerce. Il y a un sens biologique mais il y a également un sens spirituel. C’est probablement à partir de cette double acception que se greffe l’être chrétien de père.

Devenir père s’apprend, et c’est d’abord comme fils en relation à un père, ou comme fille, en relation avec une autorité que se développe l’homme. Pour le baptisé, on peut dresser un même parallèle. Lorsque Jésus nous apprend à crier Abba – père -, Il invite d’abord les baptisés à devenir des fils. Le but est de se conformer à la volonté du Père, à son dessein d’amour et de bonté pour chacun de nous. Que ta Volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel.

C’est à partir du moment où le baptisé est devenu fils de Dieu, qu’il lui est possible d’entrer dans la vie trinitaire et dans une logique de mise en relation avec l’autre, dans la vie dans l’amour, dans la vie dans l’engendrement. « Allez, de toutes les nations, faites des disciples, leur enseignant à garder tous les commandements et baptisez les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. » (Mt 28) Désormais le chrétien engendré ou adulte a le souci de l’engendrement à la vie nouvelle de la grâce reçue du Père. Il peut à son tour devenir père. C’est ce à quoi sont appelés tous les baptisés.

Cette dimension d’engendrement dans l’Église rejoint aussi le souci naturel de la transmission dans notre société humaine. Transmettre les bonnes valeurs, arriver à la communion, être unis est quelque chose de souhaité dans ce qui est appelé le vivre ensemble, l’harmonie recherchée dans nos sociétés aussi différentes qu’elles le soient en les différents points du globe. C’est le souci de la transmission de la maison commune aux futures générations qui anime le Pape François à rechercher inlassablement des hommes et des femmes de bonne volonté dans toutes les cultures et les religions, comme nous pouvons le lire dans Fratelli Tutti, 17 : « Protéger le monde qui nous entoure et nous contient, c’est prendre soin de nous-mêmes. Mais il nous faut constituer un ‘‘nous’’ qui habite la Maison commune. Cette protection n’intéresse pas les pouvoirs économiques qui ont besoin d’un revenu rapide. Bien souvent, les voix qui s’élèvent en faveur de la défense de l’environnement sont réduites au silence ou ridiculisées, tandis qu’est déguisé en rationalité ce qui ne représente que des intérêts particuliers. Dans cette culture que nous développons, culture vide, obnubilée par des résultats immédiats et démunie de projet commun, « il est prévisible que, face à l’épuisement de certaines ressources, se crée progressivement un scénario favorable à de nouvelles guerres, déguisées en revendications nobles, ».

2.2. En gardant une certaine prudence
Le Pape François souligne aussi dans Fratelli Tutti son inquiétude à propos du devenir de la famille humaine. Il le souligne en voyant combien notre époque est marquée par de profondes injustices. Pourrions-nous poser que la crise des abus sexuels de mineurs a quelque chose de systémique, de révélateur de quelque chose qui ne fonctionne plus bien à notre époque ? Savons-nous encore engendrer ? Savons-nous encore transmettre ?

Une personne m’a fait la confidence d’avoir été abusée dans son enfance par un prêtre. Elle m’a dit avoir été brisée à jamais, ayant perdu goût de vivre, joie extérieure, insouciance liée à son enfance. Cette personne n’était plus la même, m’a-t-elle dit. Et pourtant, cette personne s’est mariée et a engendré des enfants qui sont devenus pères à leur tour. L’exercice de sa paternité lui semble encore entaché par ce qu’elle a vécu de traumatisant. Devenir père lui a été difficile et reste encore aujourd’hui une épreuve.

Au niveau de notre société, le rapport Sauvé explique que de nombreuses personnes ont été abîmées par des mécanismes semblables d’abus. Il faut en déduire que la paternité humaine est probablement pauvre dès l’origine et notre société abîmée dans son ensemble, car même si la pédophilie n’a touché qu’une partie de la société, il ne faut pas oublier que les rapports entre les générations sont souvent conflictuels, divorces, séparations, irrespects dans les relations dès le plus jeune âge, infantilisation des plus jeunes par les plus âgés, tentation de la guerre des sexes. En vivant en relations avec les hommes et les femmes de notre société, il conviendra alors de ne pas s’illusionner sur sa propre paternité pour éviter que se renouvellement les conditions qui sont permis de tels abus.
L’engendrement est peut-être aussi difficile qu’un accouchement.

Pour cela il s’agit peut-être d’adopter une certaine prudence quant à la paternité. Si Dieu est Père, alors toute paternité vient de Lui. Notre paternité humaine imparfaite est une participation à la paternité parfaite de Dieu. C’est en ce sens que nous pourrions comprendre que Jésus dit de n’appeler personne Père car nous n’avons qu’un seul père au ciel. (Matthieu 23, 10) Une paternité vraie et responsable se discerne ainsi en regardant le mode de fonctionnement interne à la Trinité. Et ce qui se vit dans la Trinité (liberté, respect, responsabilité) peut être une source d’inspiration pour revivifier les pères et les mères de notre époque.

Dans la vie chrétienne, le chrétien est engendré par le baptême reçu dans l’Église. Il y a un avant et un après. Nous faisons l’expérience qu’il faut plus que le baptême. Il faut faire soi-même l’expérience que Dieu est Père afin de participer à la paternité divine et de transmettre à notre tour. C’est souvent d’un autre que soi-même que nous recevons ce que lui-même a reçu. Entre cet avant et cet après, il y a un processus de croissance spirituelle dans lequel la prudence est nécessaire pour accompagner le nouveau-né dans la foi. L’objectif sera de rechercher la sainteté en participant plus pleinement à la paternité divine. Les sacrements nous aident en nous fortifiant.

Comme chrétiens qui cheminons vers la stature de l’homme nouveau, n’idéalisons pas la figure des pères spirituels qui restent des hommes et des femmes marquées par le péché. Dans le contexte de l’abus sexuel décrit plus haut, un prêtre s’est posé comme une figure d’autorité pour cette personne, comme s’il était Dieu lui-même, or c’était une tromperie, car ce prêtre vivait exclusivement pour ses passions, il ne prenait pas en considération l’enfant qui était devant lui. Il n’a pas été à l’image de la vie trinitaire qui manifeste un profond respect et une égalité des personnes.

Pour essayer d’agir, pour engendrer des chrétiens, et transmettre la bonne parole de l’Évangile de la vie, je pense qu’il faut être très prudent dans nos relations avec les personnes, car jamais le prêtre ne sera Dieu le père, il ne pourra que participer imparfaitement à l’œuvre d’engendrement de la grâce dans les cœurs humains. Il faut prendre le risque de décevoir dans les relations, en reconnaissant que nous ne pouvons pas tout, et que nous agissons uniquement dans l’optique de la participation humble à l’œuvre de Dieu.

2.3. Agir pour les plus pauvres et les plus petits
Aussi, l’Église a posé depuis longtemps une option préférentielle pour les plus pauvres et les plus petits. Dans le service que nous pouvons rendre à la société, afin d’aider nos frères et nos sœurs à transmettre à nouveau la bonne nouvelle du salut apporté au monde par Jésus, nous pouvons enseigner que nos paroles sont limitées et confrontées au mystère de l’homme. Rien n’est plus compliqué que le cœur de l’homme, « qui peut le saisir, qui peut le comprendre ? » En reconnaissant humblement nos limites dans la participation à l’œuvre de Dieu le père, alors nous enseignerons aux autres à retrouver le sens de la mesure humaine, et à savoir prendre le temps de l’action pour aider davantage la société.

Connaître ses limites dans la participation à la paternité, c’est également accepter de renoncer à des artifices permettant les abus. Pour entrer dans une relation juste et équilibrée, il faut renoncer à vouloir forcer les choses et à séduire.

Vouloir forcer l’autre à entrer dans sa volonté, c’est une marque d’irrespect marquée par l’indélicatesse. Combien de personnes de vos entourages connaissent des personnes dures et autoritaires, qui marquent les autres par leur prétention à vouloir les commander et à s’immiscer dans leur vie. Cela peut aller jusqu’au viol physique, comme pour cette personne abusée dans son enfance, mais également au viol des consciences, c’est-à-dire forcer l’autre intellectuellement par le simple fait de l’autorité. C’est aussi le fait de l’arbitraire du chef de service dans l’administration qui a des règles valables pour une personne mais pas pour l’autre, ou bien qui change de règles d’un jour à l’autre.

Mais vous connaissez aussi des personnes qui pour arriver à leur fin ne sont que dans la séduction, et veulent faire plier les autres à leur volonté en les étouffant dans leur personnalité propre. Une relation particulière se noue entre ces personnes, dans laquelle rien n’est sur le pied d’égalité. La personne cherche à dominer l’autre et à la posséder, elle n’est pas chaste. Elle fait entrer l’autre dans ses fins en l’amenant à exclure de principe les autres. C’est parfois la médisance dans l’Église, dont parlait François aux Cardinaux, et que l’on pourrait résumer par « nous ne sommes pas comme les chachas, les tradis ou les cathos de gauche. » et cette partition peut se jouer à l’infini.

Face à ces façons de faire, il convient de retrouver un sens de la fraternité, un peu à l’image de la devise que nous retrouvons sur le fronton de nos mairies, « liberté, égalité, fraternité. » Le Secours Catholique que je salue, s’efforce à son niveau de travailler pour une révolution fraternelle, et ce n’est pas qu’un slogan vide de sens. Une révolution opérée dans le Christ Jésus, c’est un retour sur soi, en quelque sorte, un désir de vivre en frères et sœurs dans le monde, en se reconnaissant, en éprouvant son altérité dans le partage d’une commune humanité, en grandissant dans l’amour d’un Dieu Père, Fils et Esprit Saint, d’un Dieu tout Miséricordieux, « le Créateur qui nous a modelés avec Sa Sagesse divine et nous a accordé le don de la vie pour le préserver », comme nous le lisons dans la déclaration d’Abu Dhabi de 2019.

Agir pour les plus pauvres et les plus petits, retrouver ou approfondir cette option préférentielle de l’Église pour les plus fragiles, c’est peut être aussi apprendre à se reconnaître soi-même comme des pauvres et des petits devant Dieu et les hommes, à apprendre à reconnaître que tout vient de Dieu et que Lui seul est la source qui nous inspire comme catholiques pour vivre le double commandement d’amour de Dieu que nous a confié le Christ Jésus.

Conclusion

Actuellement, le climat est lourd et le refus de transmettre est bien présent, tout comme les paternités dévoyées qui peuvent dégrader l’image de l’homme ou de Dieu père. Pourtant, comme catholiques, nous avons un témoignage à porter au monde : Il est possible de vivre différemment avec l’aide de Jésus. Pour cela, pouvons-nous quitter l’enseignement du mépris vis-à-vis des commandements et de la loi qui marque notre Église et nos communautés paroissiales depuis 50 ans ? Pouvons-nous orienter à nouveau nos communautés chrétiennes vers la recherche de la sainteté afin de recréer nos relations humaines sous l’angle de la paternité responsable ? Pouvons-nous accepter humblement de nous faire confiance en retrouvant le cadre familial qu’est l’Église de Dieu notre Père ? Acceptons-nous de vivre cette imperfection de la vie fraternelle en reconnaissant notre propre imperfection ?

Acceptons-nous de nous battre pour un monde meilleur ? Reconnaissons-nous que le conflit des idées n’est pas forcément quelque chose de négatif car en permettant le débat, même si cela blesse, cela permet aussi de grandir et de vivre dans la charité ?

Pour aller plus loin dans la réflexion, je vous invite à consulter la collection des Sources Chrétiennes pour approfondir la compréhension qu’avaient les premiers chrétiens de la paternité divine. Comme Jean Chrysostome qui répond aux rationalistes dans sa très belle homélie sur l’incompréhensibilité de Dieu (Sources chrétiennes 28). Comme Tertullien qui répond aux marcionistes qui opposaient l’Ancien et le Nouveau Testament, dans son Contre Marcion (Sources Chrétiennes 365, 368, 399, 456, 483). On peut lire avec profit Michel Fédou, La voie du Christ,
genèse de la christologie dans le contexte religieux de l’Antiquité du IIe siècle au début du IVe siècle. Enfin, je vous conseille l’excellent petit ouvrage du Père Pavel Syssoev, De la paternité spirituelle et de ses contrefaçons, publié en 2020, qui permet de mieux comprendre la crise de la paternité à la suite de la crise des abus sexuels.

Pour terminer, pour reprendre les paroles de François, demandons au Seigneur « de réveiller en chacun d’entre nous et dans tout le peuple, la foi dans cette paternité, dans cette miséricorde, dans son cœur » (10/12/2015) et nous pouvons prier en disant :
Notre Père qui es aux cieux...

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